Pour la mutualisation des ASC (Introduction à la discussion pour la réunion du groupe de travail sur les ASC du 12 octobre 2015) .
De nombreux comités d’entreprise, notamment ceux des grandes entreprises, répondent aux objectifs de la mission qui leur est confiée : proposer des activités émancipatrices auxquelles beaucoup de salariés n’auraient pas accès sans leur aide.
Mais, de trop nombreux comités d’entreprise ont quasiment pour seule activité la redistribution, sous une forme ou sous une autre, de la totalité de leur budget d’ASC entre les salariés.
Les raisons en sont multiples mais structurelles, de telle sorte que, si les choses restent en état, il est difficilement pensable que cette tendance ne s’amplifiera pas.
Ces raisons tiennent d’abord aux moyens alloués aux élus, qui auraient besoin de disposer de plus de temps pour réfléchir à des projets innovants, les construire, les mettre en œuvre.
Au nombre insuffisant d’élus, d’heures de délégation, à la faiblesse des budgets, au manque de formation en matière de gestion, s’ajoute le temps toujours plus important qu’ils doivent consacrer à l’exercice des prérogatives économiques et professionnelles (sans parler de leurs tâches professionnelles dont ils ne sont pas libérés à proportion de leur temps de délégation).
Elles tiennent également à la demande exprimée par les salariés (ce qui ne signifie pas d’ailleurs que cette demande exprimée soit leur demande réelle) d’individualisation des activités, à la stagnation et à la baisse de leur pouvoir d’achat, qui les conduit à voir dans le comité d’entreprise une source de revenus supplémentaire.
Pourtant, lorsque le CE cède à la tentation de la simple redistribution entre les salariés de son budget, il se trouve rapidement dans une impasse, car il doit faire face à la frustration des salariés, qui constatent que les chèques cadeaux n’augmentent pas véritablement leur pouvoir d’achat, voire à leur colère, le CE se trouvant désigné à la place de l’employeur comme responsable de la faiblesse du pouvoir d’achat.
Mais il est d’autant plus difficile pour les élus de résister à cette demande exprimée qu’elle est souvent relayée par l’employeur (« parmi les avantages qu’offre mon entreprise, il existe un comité d’entreprise qui offre des chèques cadeaux »), que beaucoup d’élus ont intégré l’idée que leur rôle est de répondre à la demande exprimée par les salariés, et que par ailleurs la perception par les salariés de la « bonne gestion » des activités sociales et culturelles est devenue un enjeu électoral.
Cet enjeu est important dans les entreprises sans représentation syndicale (plus de la moitié des entreprises), mais encore plus dans celles dans lesquelles existent des organisations syndicales qui, en raison du critère de score électoral se doivent de faire plaisir au plus grand nombre pour espérer demeurer représentatifs.
Face à cela, le secteur marchand propose des solutions clés en main, qui dépossèdent les élus
de toute maîtrise sur les choix et sur les contenus de l’offre, et même de tout contact avec les salariés.
Le chèque lire a remplacé la politique du livre, le chèque vacances a remplacé la politique de voyages.
Dans certains comités d’entreprise, des cadeaux prétendument publicitaires, parce qu’à l’effigie du comité entreprise, illégalement payés sur le budget de fonctionnement, remplacent également la formation des élus et le recours à des experts qui les soutiennent sur les questions économiques et professionnelles.
Ainsi, peu à peu les comités d’entreprise se transforment en gestionnaire d’une demande marchande.
Faire plaisir à tous, aboutit souvent à ce que ce ne soit pas les plus démunis qui bénéficient le plus des aides du CE ou qui utilisent le plus ses activités.
Ainsi, les critères d’attribution sont de moins en moins des critères sociaux, et même si la loi l’interdit, beaucoup de comités cherchent la façon d’écarter stagiaires et salariés en CDD, c’est-à-dire les plus précaires, du bénéfice des ASC.
Les très grands comités d’entreprise, ceux qui possèdent un patrimoine qu’ils voudraient conserver au bénéfice des salariés, peinent à le remplir et à l’entretenir, compte tenu des coûts de mise aux normes et d’entretien et ont une nette tendance à s’en séparer.
Face à cette situation, de plus en plus s’accordent à considérer que la seule planche de salut réside dans la mutualisation des moyens des comités.
Reste à savoir quelles formes une telle mutualisation doit prendre : incitation ou obligation, au sein d’une même société ou d’un même groupe, entre des entreprises d’un même territoire ou d’une même branche ?
Je défends l’idée d’un regroupement des moyens vers des structures situées au niveau de bassins d’activité, et d’une mise en œuvre au niveau des établissements.
Le premier avantage serait celui de rétablir un peu de justice entre les salariés, qui sont, c’est le moins que l’on puisse dire, inégaux face aux activités sociales et culturelles.
Cela suppose en effet d’étendre le bénéfice des ASC à l’ensemble des salariés, y compris ceux des entreprises de moins de 50 salariés, y compris lorsque le budget alloué par l’employeur ne permet pas la réalisation d’ASC digne de ce nom.
Ainsi, tous les salariés d’un territoire donné, y compris ceux qui travaillent dans les très petites unités, loin du siège social, les itinérants, ceux qui pratiquent le télétravail, les précaires, pourraient rencontrer des représentants du personnel et de bénéficier d’activités sociales et culturelles.
La mutualisation pose évidemment la question d’une contribution minimum des entreprises, qui permette de gérer et de développer ces activités.
Le second avantage est « politique » : celui d’ancrer l’idée de solidarité dans la gestion de ces activités.
C’est notamment la rencontre des élus non syndiqués (plus de la moitié des élus de comités d’entreprise) avec des élus issus des organisations syndicales, c’est également à travers les ASC et leur gestion la rencontre de salariés d’entreprises et de secteurs d’activité différents.
En troisième lieu cela permettrait, c’est une évidence, de regrouper et de rationaliser les moyens.
Il s’agit bien évidemment des moyens financiers, mais également en termes de personnel et de temps, d’idées et d’expériences
Cela permettrait de définir un cahier des charges unique à l’égard des prestataires basé sur des bonnes pratiques sociales, éthiques et écologiques.
À cet égard, il ne s’agit pas d’écarter le secteur marchand de la réalisation de ces activités (encore qu’une préférence puisse être donnée d’emblée à l’économie sociale et solidaire) mais d’inverser le rapport existant actuellement entre les comités entreprise et les prestataires.
Cela permettrait de réorienter les prestations du secteur marchand sur les visées des comités d’entreprise et ainsi de faire évoluer l’offre marchande au lieu, comme aujourd’hui, de soumettre les activités des comités à cette offre.
Par ailleurs, la mise en commun des moyens des comités entreprise permettrait de réaliser les investissements nécessaires dans le patrimoine des CE, d’augmenter le taux d’occupation de ces équipements.
Enfin, les moyens pourraient être mis en commun entre comités d’entreprise, mais également avec d’autres acteurs jouant un rôle dans la culture populaire.
Ainsi, pour prendre l’exemple de la lecture, des relations pourraient plus facilement être tissées avec les bibliothèques municipales et les libraires de quartier.
D’une façon plus générale, la coopération avec les collectivités territoriales permettrait de s’appuyer sur des ressources de proximité disponibles et de partager des patrimoines respectifs.
Au-delà, ce serait une manière de faire rentrer l’intérêt collectif local dans l’entreprise.
Les risques d’une telle mutualisation ne sont cependant pas à négliger.
L’écueil principal est le dessaisissement des représentants des salariés au profit de structures bureaucratiques, qui administrerait les ASC en dehors de tout processus démocratique.
Nous devons donc bien faire attention dans les propositions que nous formulerons à veiller à ce que la mutualisation se fasse au bon niveau territorial, associe les élus des comités d’entreprise et d’établissement, et plus généralement les salariés bénéficiaires d’ASC, aussi bien sur la détermination des contenus que dans leur réalisation pratique.
À cet égard, je propose que le cercle auditionne des représentants de CE ou d’organismes pratiquant des formes de mutualisation (par exemple CCAS, CRE RATP, SEZAM, ANCAVTT… De façon à avancer des propositions pratiques.
One thought on “Pour la mutualisation des ASC (Introduction à la discussion pour la réunion du groupe de travail sur les ASC du 12 octobre 2015) .”
Une mutualisation des ASC mise en œuvre au niveau des bassins d’activité profitant aux comités d’établissement situés dans ces bassins me paraît être une très bonne idée.
Elle présente de nombreux avantages, en particulier, comme l’écrit, Christophe Baumgarten, de :
– rétablir un peu de justice entre salariés, en particulier ceux travaillant dans les petites entreprises dont le budget ASC est souvent indigent ;
– rationaliser les moyens et donc d’en dégager de nouveaux ;
– rendre les « petits et moyens CE » plus influents dans leurs relations commerciales avec leurs prestataires ;
– etc.
Toutefois, il me semble que la conception de cette mutualisation ne devrait pas conduire à totalement priver les élus des PME de la gestion totale de leur ASC.
En effet, si cette gestion est, depuis longtemps, présentée par les élus eux-mêmes comme chronophage, alors qu’ils sont par ailleurs de plus en plus sollicités par leurs prérogatives économiques, elle ne présente pas, à mon avis, que des défauts.
Tout d’abord, si tous les CE ou presque offrent à leurs ayant droits une panoplie de chèques ou de bons d’achat, une majorité d’entre eux (du moins parmi ceux que je rencontre), tient à garder la main sur une partie de leurs ASC pour pouvoir conserver un pouvoir de choix et donc de propositions aux salariés de leur entreprise. Rares sont ceux qui choisissent de s’adonner totalement aux chèques en tous genres.
Car, au-delà de leurs désillusions et de leurs constats quasi-unanimes sur notamment l’individualisme des salariés et leur caractère vénal, s’ils se sont fait élire, c’est aussi paradoxalement, pour exister en tant que décideurs aux yeux des salariés. Et pour cela, ils doivent pouvoir leur montrer qu’ils font des choix, quitte à être la cible de leurs critiques. Car les CE, pour les salariés comme pour leurs élus, ce sont toujours des activités sociales et culturelles, soustraites à la gestion de leur employeur.
Par ailleurs, la gestion des ASC permet aussi d’initier de nouveaux élus à la gestion et de les sensibiliser aux difficultés résultant de la gestion d’un budget, notamment le fait qu’il faut faire des choix et qu’il est ainsi impossible de satisfaire tous les membres du personnel. Cela les place, en quelque sorte et dans une certaine mesure, bien entendu, dans la position de l’employeur.
Cette initiation est, à mes yeux, importante pour l’exercice de leurs prérogatives économiques ainsi que leur compétence à la négociation (au sens général et non pas juridique du terme). Car comme chacun sait, il n’y a pas meilleur négociateur que celui qui comprend son protagoniste (sans en épouser l’intérêt).
Enfin, la gestion des ASC se révèle aussi être le moyen d’attirer de nouveaux élus (malheureusement peu nombreux), précisément intéressés par les ASC, l’intérêt pour les prérogatives économiques grandissant ensuite au fil des consultations et des formations.
Donc d’accord pour une mutualisation apportant plus de moyens, de proximité et d’égalité, mais en préservant la faculté de choix des élus en la matière.
Pour concilier ces deux objectifs, ne serait-il pas possible d’instituer un système de droits de tirage attribué aux CE en contrepartie du versement de leur budget à un organisme mutualisateur. Cela permettrait aux élus de conserver leur faculté de choix et d’être toujours ainsi acteur en matière d’ASC.
Fabrice Signoretto