Activités sociales et culturelles ou redistribution de pouvoir d’achat ?

Activités sociales et culturelles ou redistribution de pouvoir d’achat ?

 

Présentation du débat

Laurent Milet :

Aujourd’hui, le thème de notre réunion s’intitule « activités sociales et culturelles ou redistribution de pouvoir d’achat », il est bien évident que sous ce titre quelque peu provocateur, se cache des interrogations que nos deux intervenants (C. Baumgarten et C. Bouillard) vont évoquer.

Quelle est la pratique de plus en plus en vigueur dans les comités d’entreprise ? Ont-ils de vrais projets culturels ou la tendance est-elle à une compensation de la perte de pouvoir d’achat, c’est autour de ces questions que nous allons débattre ce soir.

Alors pour ouvrir le débat, nous avons C. Bouillard coordinatrice du réseau Cezam et C. Baumgarten vice-président du Cercle Maurice Cohen et avocat.

Sans attendre, je leur passe la parole.

Exposé introductif

Baumgarten

La prise en main par les salariés et leurs représentants de la gestion des « œuvres sociales », rebaptisées en 1982 « activités sociales et culturelles », est le fruit d’un projet émancipateur qui trouve sa source au début du siècle dernier, et sa traduction dans le programme du Conseil National de la Résistance.

En revenant sur cette histoire, on constate que les fondamentaux et les besoins des salariés ont évolué au cours du temps, et que le rôle qu’ont pu jouer les comités d’entreprise, s’est adapté selon les périodes (I).

Depuis une vingtaine d’années, sous l’effet des mutations de la société et des entreprises, le projet émancipateur s’est effacé dans la plupart des comités d’entreprise au profit d’activités qui n’ont de sociales et de culturelles que le nom (II).

Retrouver la voie d’une gestion des activités sociales et culturelles par ou pour les salariés suppose une nouvelle adaptation, que soumet au débat le Cercle Maurice Cohen sous forme de propositions (III).

I – Des comités d’entreprise en mutation constante

A) A l’origine des CE : entre paternalisme et syndicalisme

Les activités sociales et culturelles, telles que nous les connaissons aujourd’hui sont le fruit d’un double héritage :

  • Le paternalisme : au tout début du 20ème siècle, le patronat des grandes entreprises décide de constituer des structures caritatives autour de l’entreprise. Progressivement c’est l’ensemble de la vie sociale, éducative, sportive et culturelle, qui passe sous le contrôle patronal.
  • Les syndicats vont très vite revendiquer la gestion des affaires qui les concernent, créant leurs propres caisses de solidarité, leurs mutuelles, leurs clubs sportifs, proposant au sein des Universités Populaires des cours d’économie politique, de philosophie, d’histoire, des ateliers d’arts-plastiques, de théâtre, des conférences avec des intellectuels, des écrivains, des lectures collectives.

Création des CE et premiers pas

La création des CE, pensée dans la résistance, est une traduction du programme du Conseil National de la Résistance.

Ainsi, c’est dans le contexte mouvementé de la fin de la guerre, en février 1945, que sont créés les comités d’entreprise. A la direction paternaliste des œuvres sociales par l’employeur est alors substituée une gestion indépendante de ces œuvres par le comité d’entreprise.

La loi du 16 avril 1946 obligera les directions d’entreprise à rétrocéder au comité la gestion de toutes les « œuvres sociales» qu’elles avaient constituées.

Toutefois, le mode de financement ne sera jamais fixé et beaucoup de CE ne disposent que du strict minimum, voire pour 25% d’entre eux d’aucune subvention.

Malgré l’enthousiasme et l’énergie des premiers élus, les débuts seront difficiles. Le patronat multipliera les obstacles et tentera de reprendre le contrôle des activités sociales.

Mais l’appropriation de la gestion des œuvres sociales sera également freinée par la suspicion de collaboration de classe qu’elle suscitait. Le débat sera même parfois rude entre les militants et il faudra quelques années pour que les CE trouvent leurs marques, se dégagent d’un siècle de paternalisme et affirment leur propre singularité.

Il y a 3 grandes étapes :

  • – La Reconstruction

Dès leur mise en place, les comités d’entreprise sont confrontés à la dure situation d’un pays tout juste sorti de la guerre. Les œuvres sociales et culturelles seront concentrées sur le ravitaillement et la restauration collective, d’où l’appellation de « Comités patates », les colonies de vacances et les vacances (les premiers villages vacances seront créés à cette époque), les activités physiques et sportives.

  • – La Construction

Affranchi du paternalisme, et de l’effort de reconstruction du pays, les CE vont devenir des espaces de médiation culturelle.

L’objectif clairement formulé était de « raccourcir la distance entre les ouvriers et la culture ». En ce sens, la musique et le théâtre se déplaceront vers les entreprises et de nombreuses bibliothèques seront créées par les comités d’entreprise.

Les CE seront à l’initiative d’un véritable mouvement d’éducation populaire.

  • – Le développement

Au début des années 60 les CE vont assoir, développer et diversifier leurs formes d’interventions. Ainsi, dans le domaine des vacances, l’obtention de la 3ème semaine de congés payés en 1956 (20 ans après le Front populaire) voit une extension de la demande de vacances que les CE accompagneront en élargissant leur offre touristique.

Ces années seront aussi caractérisées par de profondes mutations socio-économiques avec l’apparition de nouvelles pratiques sociales et des évolutions technologiques auxquelles les CE, une nouvelle fois, répondront rapidement : danse, expression corporelle, théâtre, chorale, photos-club, arts-plastiques, échecs.

C. Bouillard

            J’ajouterai un 4ème moment : les années 80 qui ont vu la création de multiples petits comités d’entreprise. A ce moment, on change un peu de monde. Jusque là on était habitué à l’existence de gros comités d’entreprise issus de l’industrie. Les petits CE sont, eux, moins syndiqués ; il y a par ailleurs un bouillonnement de culture avec les années Lang et le passage de la culture (qui reste à définir) au divertissement culturel et à la société des loisirs (dont on ne parle plus d’ailleurs). Il y a donc une explosion de l’offre qui va venir percuter les CE et leur politique d’ASC dans leur réponse à la nouvelle demande des salariés.

Tout cela aura bouleversé la relation des CE avec leurs ayants droit. C’est à ce moment là que l’on change de dénomination et que l’on passe des œuvres sociales aux Activités sociales et culturelles.

 

C. Baumgarten

B) Un changement de paradigme.

L’évolution socio-économique des 20 dernières années a eu des conséquences importantes sur la conception et les modes de gestion des ASC :

  • un éclatement des collectifs de travail résultant des réorganisations incessantes des entreprises ;
  • un éloignement plus important et un nombre toujours plus grand de salariés éloignés de leur lieu de travail ;
  • une diminution des effectifs des organisations de travail entraînant une diminution des ressources budgétaires des CE ;
  • un individualisme croissant des ayants-droits des CE ;
  • des élus absorbés par leur rôle économique du fait des réorganisations, leur laissant moins de temps pour la gestion des ASC ;
  • le développement d’une concurrence par le secteur marchand (sur les voyages par exemple) rendant les ASC proposées par les élus moins intéressantes.

C. Bouillard

J’ajouterai à cette énumération :

  • un recul du syndicalisme et de l’intérêt porté aux ASC
  • une explosion du nombre de « petits » CE ;
  • et après la crise de 2008, le développement d’un discours sur le rôle du CE « compensateur de perte de pouvoir d’achat » qui s’est imposé au détriment des actions et activités culturelles. Ce discours a eu un effet dramatique sur la légitimité des élus de CE à mener une vraie politique ASC.

II) Les comités d’entreprise aujourd’hui

C. Baumgarten

A) Du point de vue quantitatif

  • Il y a assez peu de salariés (1 sur 2) qui exerce une activité professionnelle dans une entreprise pourvue d’instance représentative du personnel.
  • 90% des salariés travaillent dans une entreprise de moins de 100 salariés.
  • Dans la plupart des entreprises, des critères d’ancienneté écartent stagiaires et salariés en CDD, c’est-à-dire les plus précaires, du bénéfice des ASC.
  • – Les fonctionnaires et agents contractuels de la fonction publique bénéficient de façon inégale d’ASC.
  • Les demandeurs d’emploi ne bénéficient pas d’ASC.
  • « Deux millions et demi de Français ont renoncé à s’offrir des vacances ou des courts séjours payants l’an dernier et seuls 41% des Français sont partis, ce qui constitue une baisse de 4 points sur un an et le taux le plus bas depuis 15 ans » (extrait des résultats d’une étude du cabinet Protourisme réalisée en 2014).

B) Du point de vue qualitatif

Une place de plus en plus importante est donnée à la satisfaction des demandes individuelles

Nous assistons à une monétarisation accrue des prestations (notamment sous forme de chèques vacances, bons d’achat de toutes sortes, billetterie) et à la sous-traitance des activités à des services marchands (prestataires ou portails internet).

Les CE servent d’intermédiaire entre l’entreprise et les salariés pour distribuer le budget sous forme de complément de revenu (que nombre de salariés considèrent comme un quasi dû et qui fait le bonheur des directions d’entreprises, qui en font un argument à l’embauche et lors des NAO)

Ces distributions se font souvent en dehors de tout critère social. Faire plaisir à tous, aboutit souvent à ce que ce ne soit pas les plus démunis qui bénéficient le plus des aides du CE ou qui utilisent le plus ses activités.

Ces postures se généralisent bien au-delà des CE à faibles effectifs et ressources.

Le secteur marchand a pris le dessus

Les CE sont une « manne » financière qui aiguise les appétits des entreprises lucratives au détriment de leurs actions à finalité sociale et solidaire.

Plusieurs centaines de milliards d’euros annuels sont convoités par des entreprises qui ne reculent devant rien, face à 36 000 CE qui ne représentent pas une force organisée cohérente.

Ainsi, sur ces 36 000 CE, moins de 5% travaillent avec les acteurs du Tourisme Social.

Le déficit de notoriété publique (et la concurrence des sociétés lucratives aux méthodes commerciales brutales) des acteurs issus du secteur de l’économie sociale, associatif, coopératif et mutualiste, entraine chaque année des disparitions d’acteurs agissant dans ce sens.

Les mouvements associatifs de loisirs sportifs se trouvent pour la plupart en difficulté. Le patrimoine social est en difficulté (coût de l’entretien, mise aux normes, taux de remplissage).

C. Bouillard

La sémantique, elle-même, a pris le relai. Vous remarquerez ainsi que l’on parle dorénavant de « prestation » qui est selon la définition des dictionnaires un service fourni. Dans la tête des gens, la prestation, on y a droit et c’est un droit automatique, alors que lorsque l’on parle d’activités, on n’induit pas les mêmes choses.

Il y a donc là un piège du vocabulaire dans lequel tout le monde est tombé. Du coup, lorsque nous aidons des CE à rédiger leur rapport de gestion, nous leur disons de faire attention aux mots qu’ils emploient. « Pouvoir d’achat » plus « prestation », la messe est dite.

           

III) Les propositions du Cercle Maurice Cohen

C. Baumgarten

J’en viens maintenant à vous livrer mon analyse qui est assez radicale. Soit ça change, soit les CE deviendront une institution à redistribution de pouvoir d’achat.

Aujourd’hui, les comités d’entreprise sont donc à un carrefour, entre dessaisissement et réappropriation. S’ils poursuivent avec les règles actuelles, en se bornant à redistribuer du pouvoir d’achat, les employeurs revendiqueront la fin du monopole des CE dans la gestion des ASC, et ils auront raison.

Les pouvoirs publics quant à eux ponctionneront sur les sommes allouées par le CE aux salariés des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu, et ils auront également raison.

Des mesures simplement incitatives pour aider les CE à reprendre en main la gestion des ASC ne suffiront pas, car les raisons de la situation actuelle sont structurelles, et dès lors, la seule conscience syndicale ne suffira pas (d’autant plus que la majorité des élus au sein des CE sont « sans étiquette » syndicale surtout dans les PME/PMI et TPE)

Proposer une refonte de la gestion des ASC par les CE est donc à notre avis, vital.

C’est sur ces constats que le Cercle Maurice Cohen a construit ces propositions en ayant conscience qu’en proposant un autre système, on ne doit pas dessaisir les élus de la gestion de leurs ASC.

1) D’abord des propositions « a minima », des mesures incitatives sans modifier le régime actuel.

Je ne suis pas sûr qu’il n’y ait pas possibilité de critiquer juridiquement le fait que les CE délèguent la gestion de leurs ASC sans contrôle à des entreprises. En effet, le texte est clair. Les CE peuvent déléguer leurs ASC dans la mesure où ils peuvent contrôler les organisations délégataires. Or quand un CE délègue sa gestion, par exemple à Kalidéa, c’est à dire rémunère une plateforme qui entrera directement en contact avec les ayants droit du CE, il me semble que dans ces conditions le CE ne contrôle pas Kalidéa et que dans ces conditions ils ne respectent pas le texte de loi.

Il y a là quelque chose à creuser, car contrôler cela veut dire être au CA de la société délégataire et avoir la majorité des voix.

2ème proposition : obliger les CE à avoir des critères sociaux dans l’attribution des ASC avec une sanction. En l’absence de critères sociaux, le chèque cadeau ou autre ne devrait pas rentrer dans la définition de l’ASC et donc devrait être soumis aux cotisations comme tout salaire. Un directeur financier peut-il bénéficier comme les autres salariés d’un chèque cadeaux ? C’est une vraie question !

Autre proposition : la remise en cause des tolérances URSSAF qui lorsqu’on les cumule représentent des sommes importantes.

Egalement, une incitation au bénévolat des salariés qui ne sont pas représentants du personnel pour permettre aux élus de faire face à leurs nombreuses tâches et du coup, leur permettre d’organiser de véritables ASC.

Dernière proposition « a minima » : imposer aux CE la rédaction annuelle d’un projet ASC qui répondent à des prescriptions légales.

C. Bouillard

A ce propos, les CE devraient se saisir de leur obligation légale de rédiger un rapport annuel d’activité et de gestion pour expliquer aux salariés quels ont été leurs choix et pourquoi ils ont adopté telle ou telle politique d’ASC et pas seulement pour constater le nombre de personnes ayant bénéficié de telle ou telle ASC.

Expliquer par exemple les raisons de solidarité ou de justice sociale qui vous amènent à maintenir telle ou telle ASC pour un nombre restreint de salariés.

On a là un outil dont il serait intéressant que les CE s’emparent pour remettre un peu de politique dans leur gestion des ASC.

Est-ce que dans la salle il y a des élus qui ont déjà rédigé ce rapport et qui pourraient nous dire ce qu’ils en pensent.

Un secrétaire de CE

C’est, me semble t’il une question de volonté. Est-ce qu’il faut attendre qu’une loi vienne nous dire ce qu’il faut faire, surtout dans ces temps troubles de transparence publique ?

En ce qui nous concerne, nous faisons cela depuis 10 ans et publions notre rapport sur notre site internet.

C. Bouillard

Très bien, mais la réalité des 36 000 CE nous montre la difficulté qu’ils ont à faire face à leur double mission (attributions économiques et ASC).

Nous constatons, nous dans le réseau Cezam, qu’il y a des gens qui sont complètement perdus et paralysés par l’ampleur des tâches incombant aux CE.

A ceux-là il est utile d’apporter une aide à l’accomplissement de leurs missions et obligations.

C. Baumgarten

Il faut, je pense évoquer aussi un problème plus général. Celui du silence de toutes les organisations syndicales sur le sujet. Et nous espérons qu’avec le Cercle, nous allons réanimer ce débat sur les ASC qui à notre sens est un débat fondamental.

Je voudrais également faire un focus sur la réintégration dans l’assiette des cotisations de certaines ASC (Bons d’achat ou autres prestations des CE). Il y a à ce propos un député qui a déposé une proposition de loi (ou plutôt un amendement à la loi Travail) sur le sujet.

Evidement l’objectif de ce député était avant tout le renflouement des caisses de la sécurité sociale. Je pense toutefois que cela vaut la peine de s’arrêter sur cette question.

Je vais peut-être faire hurler, mais je ne suis pas contre ce principe de fiscaliser un certain nombre de sommes versées par les CE dès lors que ces sommes n’ont pas le caractère d’ASC. Si les CE ne se font que les intermédiaires pour reverser des sommes ayant en réalité le caractère de salaires, je ne suis pas contre leur réintégration dans l’assiette des cotisations sociales.

Un secrétaire de CE

Ce point de la fiscalisation devrait être abordé simplement : est-ce que le CE est un simple intermédiaire qui fait de la compensation salariale ou est-ce qu’il contribue au bien être du salarié.

La question est : quelle est notre utilité ? Que peut-on apporter aux salariés en terme d’activité dont ils ne peuvent bénéficier sans nous ?

Il me semble par ailleurs, à propos de la transparence que nous avons précédemment évoquée, que la loi devrait interdire que les prestataires puissent proposer des avantages, des cadeaux, aux élus de CE auxquels ils veulent vendre leurs services.

Gilles Sert de Culture et Liberté

Ne faut –il pas aller plus loin et se poser la question de savoir, si les CE doivent être juste là pour permettre aux salariés de partir en vacances. Est-ce que les CE doivent simplement servir de pansement aux conditions de travail insupportables ?

Est-ce les CE ne doivent pas également se poser la question de la solidarité. Celle-ci se limite t’elle aux salariés de l’entreprise ? Ne faut-il pas l’étendre aux salariés des sous-traitants, aux intérimaires, etc ? C’est un choix politique.

Un expert-comptable (Syndex)

Je voudrai aborder 2 points.

Celui de la transparence d’abord. La loi de 2014 a créé des contraintes qui ont été acceptées par toutes les OS (la commission des marchés, l’intervention d’un expert comptable, par ex.). La mise en œuvre est par contre assez compliquée.

Deuxième point, les différences entre « petits et gros CE ».

Les petits ayant de très petits budgets font comme ils peuvent. Reconnaissons que la tâche est très difficile pour eux.

Les gros sont des petites entreprises. Ils sont sur une autre planète. Il est donc difficile de généraliser.

C. Baumgarten

Revenons à notre sujet, la transparence étant hors sujet.

J’ai énuméré des propositions a minima, mais je pense qu’il faut aller plus loin. Le rôle des CE en matière d’ASC, comme je l’ai décrit au début de mon exposé s’est complexifiée et la meilleure conscience syndicale ne peut suffire à dépasser les handicaps qui se sont accumulés ces dernières décennies.

C’est pour cela que je pense qu’il faut penser dorénavant à des mécanismes de mutualisation obligatoires.

Mutualiser les moyens humains, bien sûr, car ces moyens coûtent chers. Je pense à ce CE qui me disait qu’il avait une bibliothèque, mais pas de bibliothécaire pour la gérer parce que cela coûte cher. Avec une mutualisation plusieurs CE possédant une bibliothèque pourront avoir un bibliothécaire de métier.

Nous prônons donc la mutualisation des moyens des CE, qui présente plusieurs avantages :

  • Mettre en commun les moyens humains et matériels tournés vers la gestion des ASC ;
  • faire bénéficier d’ASC les salariés des entreprises qui n’ont pas de CE (et instituer une cotisation minimale de tous les employeurs) ;
  • définir par les OS une politique d’ASC au niveau local, régional ou national ;
  • ancrer l’idée de solidarité dans la gestion de ces activités, je rejoins à ce propos la réflexion faite précédemment ;
  • proposer une offre de qualité couvrant tout le territoire national, impossible à réaliser à l’adresse des salariés des entreprises multi-sites, itinérants ou travaillant à domicile ;
  • définir un cahier des charges unique à l’égard des prestataires basés sur des bonnes pratiques sociales, éthiques et écologiques ;
  • réaliser les investissements nécessaires dans le patrimoine des CE, augmenter le taux d’occupation de ces équipements ;
  • créer des synergies avec tous les acteurs locaux : collectivités territoriales, libraires indépendants, cinémas de quartier…

Nous défendons également l’idée de cadres spécifiques pour la gestion des ASC :

  • l’entreprise et l’établissement pour la gestion des ASC n’auraient pas la même définition que pour l’exercice des prérogatives économiques et professionnelles ;
  • les moyens seraient regroupés dans un périmètre constitué par bassin d’activité (dont le périmètre reste à définir) ;
  • la mise en œuvre se ferait au niveau des établissements, entendus comme « une même collectivité de travail », pouvant donc regrouper plusieurs sociétés, par exemple le donneur d’ordre et les sous-traitant qui travaillent dans la société.

Plusieurs avantages à cela :

  • donner les mêmes droits à tous les salariés travaillant dans l’entreprise ;
  • permettre la rencontre de salariés d’entreprises et de secteurs d’activité différents, et créer de nouvelles solidarités ;
  • tisser plus facilement des relations avec des acteurs locaux, par exemple les collectivités territoriales, ce qui permettrait de s’appuyer sur des ressources de proximité disponibles et de partager des patrimoines (par exemple pour la lecture, s’associer avec les bibliothèques municipales et les libraires de quartier) ;
  • résoudre la question de l’accès des salariés aux ASC dans les entreprises multi sites ;
  • dissocier les élections des membres de CE assurant les prérogatives économiques et celle assurant la gestion des ASC.
    • La mesure de la représentativité ne se ferait que sur la première catégorie pour empêcher que la gestion des ASC ne soit un enjeu électoral, qui pénalise les OS qui s’engagent dans une politique audacieuse, au risque de perdre leur représentativité. Cela permettrait également d’assurer une séparation réelle des budgets.

Je laisse la parole à la salle

Laurent Lacoste

Je voudrai revenir sur les difficultés des petits CE ayant de petits budgets, car pour moi cela ne va pas de soi.

Je suis secrétaire d’un petit CE. Pour donner une idée, le budget représente 80 euro par an par salarié.

Tout dépend du projet qu’on a au départ. Notre objectif, c’est de recréer du collectif sur les lieux de travail. Il faut ressouder tout cela. Ce n’est pas facile, mais il faut s’attacher à le faire. L’entreprise où je travaille est de plus une boîte de prestation de service éclaté sur une centaine de sites. Pour autant, avec notre petit budget on a décidé de se trouver une salle dans laquelle on propose aux gens de se retrouver pour que les gens se connaissent mieux.

D’emblée, aux élections, nous avons annoncé la couleur en précisant aux salariés, que nous n’étions pas là pour leur faire des cadeaux, d’autant que nous n’en avions pas les moyens. Pour cela, nous avons expliqué notre projet. Il faut beaucoup communiquer, même si cela n’est pas toujours facile.

Il faut que la politique ASC soit en cohérence avec la politique AEP.

C. Baumgarten

Je suis très heureux de constater qu’il y a encore des gens comme vous, mais ce que j’affirme, c’est que structurellement, cela est plus difficile et cela décourage les meilleures volontés.

Un secrétaire de CE

Je reviens à ce que je disais au début de ce débat, peu importe les moyens, le principal c’est comment on s’adapte et avec quelle volonté. Il ne faut pas dire que ce n’est pas possible.

C. Baumgarten

Moi je regarde le résultat et m’aperçois que des élus comme vous deviennent de plus en plus rares.

Et la question est : comment on fait pour la majorité des CE qui sont majoritaires et, qui ont moins de volonté militante. Est-ce qu’on les laisse pratiquer leur politique de bons d’achat ?

C. Bouillard

Ce qui est important c’est de ne pas être dans la simplification. Le monde des CE est compliqué. Il faut être dans la mesure des choses.

Je vais me faire « l’avocat du diable ».

Je crois qu’à un moment donné les choses ne sont pas contradictoires. Vous pouvez très bien avoir une action autour de l’accès au théâtre et on sait combien c’est difficile de faire sortir les gens de chez eux. Le pourcentage de gens allant au théâtre et à l’opéra est le même depuis 35 ans.

Ce n’est pas contradictoire d’avoir une offre globale et en même temps d’entamer une action plus pointue sur une action culturelle par exemple.

Il ne faut pas confondre les objectifs qu’on se donne et les outils qu’on va mettre en place. Je suis pour le panachage.

Les CE qui réussissent sont aussi ceux qui connaissent bien leur public et qui se posent les bonnes questions. Qui bénéficie des avantages du CE ? Et surtout qui n’en bénéficie pas, d’essayer de comprendre pourquoi et, du coup, de réfléchir à des actions qui pourraient toucher ces publics. Ceux qui ne veulent pas participer aux ASC communes, c’est leur droit, mais ce n’est sans doute pas la majorité.

Il faut aussi assumer le fait que certaines ASC ne concernent qu’une minorité de salariés. Avec Cezam Ile de France, nous allons grâce à la mutualisation emmener 15 personnes à la Cartoucherie pour assister au prochain spectacle de Mnouchkine. C’est peu, nous en avons conscience, mais c’est déjà cela et c’est grâce à la mutualisation, d’autant que pour la plupart de ces participants, ce sera la première fois qu’ils verront un spectacle du Théâtre du Soleil.

Mais il faut aussi que les gros CE participent à cette mutualisation, sinon, le mécanisme ne fonctionnera pas. Ces gros CE ont un peu perdu de vue le rôle de locomotive qu’ils peuvent jouer dans la mutualisation.

Un élu

Le problème avec la mutualisation, c’est les salariés qui ne l’entendent pas de cette oreille. Ils sont nombreux à nous dire qu’ils n’ont pas envie de partager avec d’autres entreprises et qu’ils veulent leur dû.

C. Baumgarten

C’est pour cela que je ne crois plus à la mutualisation volontaire et que je pense qu’il faut une intervention législative pour l’imposer.

Il faudra bien sûr un système réfléchi permettant une gestion locale par bassin d’emploi, évitant la main mise de bureaucrates à la place des élus et une gestion au plus près des salariés.

Gilles Sert de Culture et Liberté

Deux mises en garde :

  • la première, concerne les initiatives d’entreprises du secteur marchand qui proposent aux employeurs de verser une cotisation pour que les salariés des petites entreprises bénéficient d’ASC et ce, avec l’argument redoutable que c’est exonéré de cotisations sociales.
  • la seconde concerne les politiques tarifaires, elles sont systématiquement un échec.

Troisièmement chose. Faut-il décorréler les élections AEP-ASC ? Cela risque de déresponsabiliser les OS de la gestion des ASC. Et la deuxième on est en train de voir se monter des associations de salariés hors OS se présentant aux CE sur la base de la gestion des ASC et se désintéressant des AEP, le risque étant aussi de voir les CE être délaissés par les OS.

Enfin, ne faut-il pas se demander si les ASC ne constituent pas aussi un outil de lutte, par exemple un outil de lutte contre le racisme.

Laurent Milet

J’ai cru comprendre que la CGT remettait en place au niveau confédéral une structure pour se réapproprier la question des ASC.

Concernant la problématique des cotisations sociales sur les ASC, l’idée que je retiens, c’est qu’il y a deux manières de procéder. Une première manière qui apparaît compliquée, et l’autre qui fait dans la simplicité, les deux n’étant pas satisfaisante.

La première qui est compliquée consisterait à faire la différence entre ce qui relève d’une prestation salariale (une obligation de l’employeur) et la seconde qui correspondrait à une véritable ASC. Voie compliquée et empirique.

La seconde qui est la voie de la simplicité, celle de mettre un plafond sans faire de distinguo entre prestation salariale et ASC.

Une voie médiane est à rechercher qui se rapprocherait du système de la tarification des accidents du travail avec un système de bonus-malus en fonction de comportements vertueux ou pas.

Sur la question de la mutualisation, il y a là une question que nous n’avons pas évoquée, celle de la gestion commune des ASC dans les entreprises à établissements multiples. On a, en effet, dans certains gros CE, des CCE qui sont confrontés à la mauvaise volonté de certains comités d’établissement qui refusent de verser une quote-part au CCE. Comment faut-il se positionner par rapport à cette mauvaise volonté et quelles solutions juridiques devons nous préconiser ?

C. Bouillard

Je voudrais revenir sur la question du piège dans lequel nous sommes tombés. Celui du piège de l’outil, le chèque, et la question du pouvoir d’achat. C’est à partir du moment où l’on s’est dit qu’on était là pour donner du pouvoir d’achat aux gens et qu’on pouvait le faire avec des chèques.

Je crois qu’il ne faut pas se focaliser sur la question de chèque ou pas chèque. Je crois qu’aujourd’hui on a des pouvoirs publics qui ne sont pas clairs sur la question du social. Je pense qu’on pourrait avoir une vision bien plus intéressante et bien plus large de la notion d’ASC.

Prenons l’exemple de la question des proches aidants, il me semble que les CE devront dans un proche avenir s’investir sur cette problématique qui concerne 5 millions de salariés. On ne devrait pas laisser les salariés concernés sans aide. Et ça ce sont des questions qui sont à la limite du rôle social et du rôle économique des CE. D’autres exemples pourraient être donnés. Par exemple, aider des enfants d’ayants droit à passer leur permis de conduire. Aujourd’hui ce type d’action est « redressable » par les URSSAF, du moins pour les plus de 18 ans.

Il faut donc clarifier sans simplifier. Il faut me semble t’il laisser aux élus de CE une certaine liberté. Ce qui peut sembler aberrant dans un CE ne le sera pas dans un autre, au regard de la réalité économique, sociale et culturelle parfois très différente que vivent les salariés, d’une entreprise à l’autre. Attention, trop de simplisme risque de conduire à une extrême simplification législative.

 C. Baumgarten

On va clôturer le débat. On l’a bien senti ce soir, il y a des divergences, mais elles ne sont pas insurmontables L’objectif du Cercle est avant tout de relancer le débat. L’organisation d’un autre débat sera peut-être nécessaire.

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