Épidémie de déréglementation pour le droit du travail

Épidémie de déréglementation pour le droit du travail

De nombreuses dispositions de la loi d’urgence et les ordonnances publiées dans la foulée permettent aux entreprises de déroger à plusieurs dispositions du Code du travail et donc de remettre en cause les droits des salariés.

Depuis plusieurs années notre droit du travail a subi de nombreuses régressions dont le cercle Maurice Cohen s’est largement fait l’écho. Alors que la crise sanitaire que traverse notre pays nécessiterait à minima de sanctuariser les droits des salariés, il est à craindre que certaines dispositions de la loi « d’urgence » du 23 mars 2020 ne les fragilisent encore un peu plus, sous prétexte de permettre aux entreprises de faire face aux bouleversements économiques et sociaux engendrés par la pandémie de Coronavirus.

Des règles sur la durée du travail et les congés payés sont notamment revues  (Art. 11 de la loi). Ces mesures d’exception, précisées par les ordonnances du 25 mars 2020, ont vocation, en principe, à ne s’appliquer que jusqu’au 31 décembre 2020. En voici quelques exemples qui énoncent, pour chaque domaine, le principe applicable en temps normal et les exceptions possibles en raison de la crise sanitaire. 

Congés payés

Le principe : A défaut d’accord collectif en disposant autrement, l’employeur ne peut pas modifier l’ordre et les dates de départ en congés moins d’un mois avant la date de départ prévue (art. L. 3141-16 du C. trav.), sauf circonstances exceptionnelles, ce qui est le cas de l’épidémie de coronavirus et des mesures de confinement. Mais seuls les jours de congés payés déjà « posés » par les salariés sont concernés. Un employeur peut demander à un salarié n’ayant pas posé ses congés de les prendre, mais le salarié peut refuser.

L’exception : Un accord d’entreprise ou de branche peut autoriser l’employeur à imposer (donc même s’ils n’ont pas été posés) ou à modifier les dates d’un congé déjà posé, dans la limite de 6 jours ouvrables avec un délai de prévenance d’un jour franc. C’est le fractionnement des congés payés sans être tenu de recueillir l’accord du salarié et la suspension temporaire du droit à un congé simultané des conjoints ou des partenaires d’un PACS. Le confinement est ainsi assimilé aux vacances alors que jusqu’à plus ample informé, celles-ci sont quand même faites pour autre chose que de rester cloîtré chez soi.

Jours de RTT

Le principe :  Les jours de RTT (réduction du temps de travail) relèvent la plupart du temps d’accords d’entreprise. Le salarié peut, en règle générale, poser ses jours de RTT, ou une partie seulement de ceux-ci, comme il le souhaite dès lors qu’il respecte les conditions fixées par l’accord.

L’exception : Les employeurs pourront décider unilatéralement d’imposer ou de modifier, sous préavis d’un jour franc, des jours acquis de réduction du temps de travail (RTT), des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié. Une limite de 10 jours est toutefois posée.

Durée du travail quotidienne ou hebdomadaire

Le principe : La durée quotidienne maximale de travail est de 10 heures (art. L. 3121-18 C. trav.). Celle du travail de nuit de 8 heures (art. L. 3122-6). Le temps de repos, entre 2 journées de travail, est de 9 heures minimum (art. L. 3131-1). La durée maximale de travail hebdomadaire est de 48 heures (art. L. 3121-20) ; si elle est calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives elle est de 44 heures ou 46 heures en cas d’accord (art. L. 3121-22). La durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit, calculée sur une période de douze semaines consécutives, ne peut dépasser quarante heures, sauf accord pour certaines activités (art. L. 3121-22).

L’exception : Dans certains secteurs économiques dits essentiels (notamment l’énergie, les transports, la logistique, l’agroalimentaire, etc.), la durée quotidienne maximale de travail pourra être portée à 12 heures. Celle du travail de nuit à 12 heures. Le temps de repos, entre 2 journées de travail, sera réduit à 9 heures. La durée maximale de travail hebdomadaire peut être portée à 60 heures. 

L’entreprise qui aura recours à l’une ou plusieurs de ces dérogations (qui varieront selon les secteurs) devra en informer « sans délai et par tout moyen » le comité social et économique, ainsi que le Direccte.  

Dans certains métiers qui nécessitent des compétences très précises, l’allongement du temps de travail peut, le cas échéant, se justifier. Mais dans d’autres, comme le commerce ou la logistique notamment, l’augmentation de la durée du travail est une facilitée de plus accordée aux employeurs qui, plutôt que d’embaucher, feront travailler plus longtemps leurs salariés. Leur santé sera encore plus exposée par des temps de travail plus importants et des temps de repos réduits. 

Enfin, la dérogation à la règle du repos dominical devient de droit pour toutes les entreprises relevant « de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ». Ces entreprises pourront donc attribuer le repos hebdomadaire par roulement. 

Un mot d’ordre : Vigilance

La vigilance va donc s’imposer dans les semaines et mois à venir afin que les exceptions ne deviennent pas la règle. En effet, toutes les modifications apportées par les ordonnances traitant du droit du travail vont constituer un effet d’aubaine pour certains employeurs qui seront tentés de faire pression pour que celles-ci perdurent au-delà de la crise sanitaire. La lutte contre la déréglementation du droit du travail ne s’éteindra donc pas avec la fin du confinement. Le cercle Maurice Cohen y veillera.

Laurent Milet
Président du CMC

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